« Plus bas dans la vallée & Quelques courts récits des Appalaches » – Ron Rash, Gallimard La Noire, traduit par Isabelle Reinharez ( Etats- Unis)

Plus bas dans la vallée par Rash« Quand Serena Pemberton descendit de l’hydravion Commodore, en juillet 1931, un modeste mais fervent contingent de reporters et de photographes l’attendait. À l’exception du pilote, elle était seule. Ceux qui l’accompagneraient au camp forestier, à la fois bêtes et gens, étaient arrivés par bateau la veille au soir. Ils avaient déjà pris place à bord du train qui les emmènerait de Miami en Caroline du Nord. Tous sauf Galloway, son exécuteur des basses besognes, qui s’était procuré une automobile pour conduire sa patronne à la gare. »

C’est peu dire que c’est un intense bonheur de lire Ron Rash de nouveau, et de retrouver cette Serena que j’ai tant détestée dans le roman éponyme. Et de la détester toujours autant, voire plus. Ce personnage à elle seule amène la force du récit avec les palpitations du cœur qu’elle déclenche, colère, détestation, envie de meurtre. Mais oui, carrément. Car de retour du Brésil où elle a rasé des forêts, la revoici dans les Smocky Mountains, où ses ouvriers bûcherons vont devoir terminer la tâche entreprise, la destruction totale de ce qu’il reste d’arbres. Flanquée du très obéissant Galloway, elle va semer à nouveau la terreur, la misère, la violence parmi ces pauvres hommes quasi esclaves. Je vous laisse l’insondable plaisir de lire ses malfaisances et les dommages collatéraux. Ron Rash ne cède rien à ce personnage et en fait une sorte de Commandeur menaçant et destructeur.

Vous l’avez compris, énorme coup de cœur pour cette nouvelle qui occupe la moitié du livre, puis laisse place à six autres, courtes et tout aussi fortes et belles et si remarquablement écrites, l’humour apparait parfois, plein d’ironie ravageuse

« Être si près de ses beaux-frères lui donnait
l’impression qu’une mycose
commençait à envahir son corps.
Ces deux-là dégageaient une odeur de moisi
style champignon.
Rien d’étonnant vu qu’ils bougeaient
à peu près autant que ces végétaux. »

 L’écrivain dessine à coups de crayons sûrs et vigoureux des portraits précis et marquants, Stacy, Baro, … la dernière nouvelle m’a beaucoup plu, amusée, je la trouve parfaite par sa forme et son ton. Toutes les autres sont des moments de vie de ces habitants souvent pauvres de cette région un peu oubliée du reste du pays. Ron Rash dépeint la misère et l’isolement comme personne, avec humanité mais lucidité. Et encore une fois, l’humour, ici féroce :

 » Il suffisait de regarder la Floride sur une carte
pour voir qu’elle pendouillait,
accrochée au reste de l’Amérique
comme une bite flasque .
C’était incroyable que les pères fondateurs
n’aient pas scié ce putain d’État
pour le laisser partir à la dérive.
Un État dont « l’individu » le plus célèbre
se baladait en feignant d’être une souris
de deux mètres cinquante. »

Un régal de lecture qui poussera, j’espère, ceux qui n’ont pas lu « Serena » à le faire. L’œuvre entière de Ron Rash est magnifique. Et ce dès le premier roman, « Un pied au paradis » qui reste un de mes préférés . Je termine sur les dernières phrases de la dernière nouvelle, « Leurs yeux anciens et brillants »:

« Acipenser fulvescens », énonça-t-il, le latin prononcé lentement à la manière d’une incantation. Il remit la scutelle dans sa poche et, sans plus s’occuper de Meekins, contourna le pick-up pour s’engager  sur la route goudronnée. Campbell lui emboîta le pas, chargé du matériel de pêche, Creech venait en dernier, le livre dans les bras. C’était une lente et digne procession. Ils prirent vers l’est, en direction du magasin, le soleil de la fin d’après -midi dorant leurs visages crevassés et décharnés. En sortant de l’ombre, ils clignèrent des yeux, comme éblouis, tout à fait à la manière des saints de l’ancien temps qui ont été aveuglés par l’éclat de la véritable vision mystique. »