Entretien avec Sébastien Vidal, à propos de « De neige et de vent », éditions Le mot et le reste.

Sébastien Vidal a accepté très gentiment de répondre à quelques questions à propos de ce roman coup de cœur. Voici pour vous mes questions et ses réponses.

-Bonjour Sébastien, et encore merci d’avoir accepté ce petit échange avec moi.

Je viens de refermer votre dernier roman – pour moi une découverte de votre travail – et j’ai dévoré cette histoire glaçante en quelques heures. J’en suis ressortie enthousiaste, frigorifiée mais très intéressée par les personnages de ce livre dont le lieu fait partie.

Je ne vais pas ici résumer la trame puisqu’il y a ma chronique. Mais je souhaite vous poser quelques questions. La grande force du livre est amenée d’abord par le décor impressionnant, ces Alpes à la frontière italienne soumises à une tempête homérique, vent, neige, froid de gueux. Tout est glacé, on se sent pris dans une sorte de linceul blanc frigorifique.
Le village se nomme Tordinona, et en cherchant j’ai vu que c’est le nom d’un théâtre italien. Est-ce un hasard ? Car à Tordinona va se jouer une tragédie. Les personnages arrivent les uns après les autres, comme les comédiens sur une scène de théâtre. Parti pris dramaturgique qui fait monter la tension, mais encore ?

SV : merci de vous intéresser à mon travail. En effet, il n’y a rien qui soit laissé au hasard dans cette histoire. C’est la moindre des choses lorsqu’on écrit. Tordinona, c’était le nom de la prison papale à Rome qui était utilisée pour enfermer les individus suspectés d’hérésie par l’Inquisition. Giordano Bruno y a séjourné en 1500 avant d’être brûlé vif. J’ai simplement accolé les syllabes (Tor Di Nona)pour fabriquer ce village fictionnel. D’une certaine manière, par sa façon de fonctionner, son isolement et cette peur quasi immanente de l’inconnu, Tordinona est une prison à ciel ouvert pour une bonne partie de ses habitants. Quant à l’apparition des personnages, c’est une volonté de retranscrire la manière dont ils sont arrivés aussi, dans ma tête, comme dans un défilé, les uns après les autres. Je crois qu’en littérature on ne doit pas se priver des belles clés de la dramaturgie. J’aime bien l’idée de présenter au lecteur les personnages dans l’ordre où ils se sont présentés à moi.

-Ainsi arrivent le voyageur et son chien qui doivent se mettre à l’abri et qui trouvent ce qu’on ne peut pas du tout appeler un accueil, mais le café où on les tolère, c’est tout.
Puis toujours dans la tourmente, le garde champêtre va trouver le corps mort de la fille du maire, morte et sans doute violée. Ainsi va commencer une chasse à l’homme.
Dans l’ambiance tendue des gens de ce village, que je qualifierais de sordides abrutis, on assiste à la mise en scène du livre et bien sûr le voyageur, l’étranger toujours suspect, sera pris pour cible. Le village et sa population sont absolument effrayants. On rencontre le maire et ses administrés et il n’y en a pas un plus sympathique que l’autre, tous sont affreux, violents et près au lynchage. Je crois bien que ce genre d’endroit existe…Non? ( en aparté, j’en connais…)

SV : En effet, ces lieux existent un peu partout, partout où prédomine la peur de ce qu’on ne connaît pas et qu’on n’a jamais vu. Yoda n’a-t-il pas dit « l’ignorance mène à la peur et la peur au côté obscur…) Ces endroits sclérosés par leur isolement (pas forcément géographique ou pas uniquement), où stratifient une histoire et un passé qui, un peu manipulés par des gens qui maîtrisent la rhétorique, peuvent s’avérer très dangereux. Ce village confi dans sa peur, son aveuglement et sa haine, ça pourrait être la France très bientôt si on n’y prend pas garde.

-Enfin, le second groupe, celui de la résistance, de l’enquête, de la volonté d’une part de trouver le coupable du meurtre, mais aussi d’éviter l’assassinat de Victor le voyageur et son chien. Ce groupe est peu commun, et plus sympathique. Ces fameux “néoruraux”, si décriés…qu’en pensez-vous ?

SV : Ces néoruraux sont arrivés là pour faire vivre un projet de vie. Evidemment, rien que par leur démarche (quitter un lieu familier et la sacro-sainte sécurité pour construire une nouvelle vie ailleurs, dans l’inconnu, avec des inconnus de surcroît), ils se trouvent à l’exact opposé de l’état d’esprit des villageois qui, pour un grand nombre, sont enracinés in situ depuis des générations. En outre, ils apportent avec eux un vent fort déplaisant pour certains, en effet, il y a un couple homosexuel dans le lot. Sans doute le premier dans l’histoire du hameau. Comme un certain nombre de néoruraux, ceux du roman sont confrontés à la réalité du terrain. Il y a souvent une déception entre le rêve et ce qui est. Le grand impondérable c’est l’accueil qui leur est fait. Ne nous y trompons pas, ils ne sont pas les bienvenus parce qu’ils sont néoruraux ; ils ne sont pas les bienvenus parce qu’ils ne sont pas du village, ou au pire, des alentours. Et le projet qu’ils portent ainsi que la présence d’un couple gay aggravent la chose. Ce qui les « sauve » en quelque sorte, c’est qu’ils sont associés, à plusieurs on est plus fort. Dans cette histoire, ils peuvent dramatiquement faire l’expérience de la violence, ils n’y sont pas du tout préparés, et ils touchent du doigt les limites de la non-violence face à des enragés.

-Puis, les policiers, une femme et un homme, chacun avec sa charge mentale, sont particulièrement sympathiques, courageux, responsables. Ils connaissent bien les gens du village. Moi je les ai bien aimés, ce sont des gens droits et justes. Expérience professionnelle oblige ? Vous ne craignez pas qu’on vous soupçonne de parti pris – compte tenu de votre CV ?

SV : On pourra toujours m’accuser de parti-pris, mais quand j’étais en exercice, j’ai toujours été assez critique sur l’institution qui m’employait. Être militaire n’exclut pas de conserver son esprit d’analyse et son libre-arbitre, même si la formation et l’environnement tendent à uniformiser la pensée, en tout cas à faire obéir sans état d’âme. Ce qui est une hérésie, les gens obéissent la plupart du temps, mais ils ont forcément des états d’âmes (ceux qui n’en ont pas sont pour moi des individus très dangereux), et à un moment, l’accomplissement de la mission et l’intime conviction, les valeurs personnelles, peuvent se télescoper et créer de la souffrance morale. Pour le récit, j’avais besoin de deux défenseurs de l’Etat de droit, deux personnes avec leurs failles, leurs doutes, mais convaincues de l’importance fondamentale de leur combat. Deux gendarmes qui n’ont pas oublié qu’ils se sont engagés pour être au service de la population et de la Constitution, pas au service du pouvoir ou d’un gouvernement, quel qu’il soit. Mais il est évident que si ces deux gendarmes dans le roman représentent une bonne partie de la gendarmerie, n’oublions pas que d’autres ne leur ressemblent pas, se livrent à des violences injustifiées, des abus de pouvoir ou d’autorité, ou sont tentées par des idées xénophobes, pour ne pas utiliser un autre terme. Mais cela n’a rien d’étonnant, la gendarmerie n’est que la représentation condensée de la société dans laquelle elle recrute ses femmes et ses hommes. La police connaît le même phénomène puisqu’elle pioche dans le même vivier. Quand un gendarme agit avec noblesse il faut le dire et s’en réjouir, mais lorsqu’il fait honte à son uniforme et aux valeurs d’une institution séculaire, il faut le dire aussi et le condamner sans complaisance. Il faut séparer le bon grain de l’ivraie, et rien n’est plus compliqué dans ce monde médiatisé où tout le monde juge très vite en oubliant de s’examiner au préalable.

-Personnellement, j’ai aimé ça dans votre livre, l’honnêteté, l’évidente connaissance de ce genre de lieu, de population ( le bas de plafond ), de réaction. Et pour finir, je perçois une indulgence pour les femmes du village, plus souples mentalement, plus aptes à évoluer…peut-être pour ne plus être tenues pour de peu d’importance, non? En tous cas, il y a de la sincérité, du vécu et je n’oublie pas l’humour.

SV : quand on vit à la campagne, la vraie, pas celle des périphéries urbaines où on veut faire croire au quidam qu’un champ et un bouquet d’arbres décoré de quelques animaux d’élevage sont de la campagne. Quand on vit à la campagne, on croise des gens pénibles, bas du front, bien droits dans leurs bottes avec des avis et des idées bien tranchées, sensibles au populisme et à la démagogie, mais on croise aussi des personnes fabuleuses, qui « portent le feu » comme l’enfant dans le roman La route, de MacCarthy. Des gens dévoués, ouverts, qui n’ont pas laissé entrer la peur en eux. N’oublions pas que les campagnes ont caché beaucoup de juifs durant l’Occupation, et que dans de nombreux cas, personne n’a parlé ni dénoncé.

En ce qui concerne les femmes, il faut croire que même là, dans cet endroit reculé, souffle un vent de modernité et que parmi elles, certaines sont engagées dans un processus d’émancipation. Mis à part Nadia qui est un personnage principal, les autres femmes du récit ne font que passer mais elles disent quelque chose, même lorsqu’elles ne parlent pas, elles représentent l’espoir et la « femme en rouge » qui apparaît à deux reprises, incarne la mauvaise conscience des rageux.

-Reste l’homme au chien, Victor, l’homme qui écrit. Un peu le barde, qui transcrit et narre les événements. Un écrivain, un glaneur de vies, un conteur d’histoires, c’est mon personnage favori. C’est l’écrivain qui toujours avance flanqué de son ami chien. L’homme qui regarde et qui inscrit ce qu’il voit pour les temps à venir.
Cet ensemble rend un texte bien bouclé, bien construit avec une montée en tension vraiment bien menée.

SV : Victor, c’est le poète qui passe au mauvais endroit au mauvais moment. Lui aussi « porte le feu ». Son vécu, ses origines, sa culture font de lui quelqu’un d’ouvert et de fondamentalement bon. Sauf si on fait du mal à son chien, nous avons tous nos limites. Il a une capacité d’émerveillement qui le prédispose à l’écriture. Il tient un carnet dans lequel il consigne ce qu’il voit, ressent, pense. Il est en prise absolue avec le monde et la Nature parce qu’il ne possède pas grand-chose, l’essentiel est avec lui. Il a renoncé à une forme de confort pour retrouver une liberté d’action, d’une certaine manière c’est un personnage qui est en résistance passive face au système capitaliste et libéral, il sape les fondements du système par son absence sur le champ de bataille. Pas de combattant, pas de bataille. Il a compris une chose décisive : ce qui conditionne ta liberté c’est ton train de vie. Moins tu as de besoins, plus tu es libre parce que tu passes moins de temps à être exploité au travail pour gagner un salaire qui est destiné à payer toutes ces choses dont un grand nombre sont inutiles. C’est un personnage subversif.

-Sébastien, cet entretien enrichit véritablement la lecture, je vous remercie pour le temps que vous y avez consacré, pour votre gentillesse et votre disponibilité.  Merci d’avoir accepté cet échange. En attendant avec impatience votre prochain roman, merci pour celui-ci, si prenant.

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