« Prendre son souffle » – Geneviève Jannelle, éditions Québec Amérique

Prendre son souffle par Jannelle« Il eut mieux valu que je ne te rencontre jamais, amour de ma vie. Mais voilà, c’est arrivé. Je me dis parfois que je suis injuste, qu’un tour de montagnes russes avec toi vaudra toujours mieux qu’une vie entière dans la grande roue avec qui que ce soit d’autre. Reste qu’il y a  de ces jours où, au plus profond de mon ventre, je souhaiterais ne pas avoir traîné au lit, ce matin-là. J’aurais eu le temps de prendre un café à la maison et ne me serais pas trouvée sur ton chemin de cycliste pressé, mon latté à la main. Tu ne m’as pas renversée mais c’est tout comme. »

Un roman d’amour insensé, magnifique, bouleversant. Cru et cruel. Ces deux adjectifs vont très bien à cette histoire. Loin de ce qui peut exister de pire dans les romans d’amour, voici un livre qui nous atteint en plein cœur avec ce que la vie parfois peut nous réserver d’amour, de passion folle mais aussi de violence et de cruauté. Nous donner un immense bonheur pour nous l’arracher dans d’odieuses souffrances. C’est de ça dont il est question ici. D’amour fou et de douleur inextinguible.

Un jour ordinaire, « accident » de vélo, une rencontre fortuite et l’éblouissement, la folie des corps qui se met en marche, l’emballement des cœurs, le souffle coupé à la première rencontre. L’amour fou, quoi…

Les corps. Parlons-en… Le corps d’Eden, – car ce beau jeune homme sportif se prénomme ainsi -,  son corps donc, comme le furent ceux de sa sœur et de son frère –  est atteint de « l’ataxie de Friedrich », maladie neuro – dégénérative invalidante puis fatale.

« Tu as mis un certain temps à me parler de ta famille, et quand tu l’as fait, c’était de façon évasive, en la qualifiant de défectueuse. Tu n’as pas voulu t’expliquer. J’ai imaginé bien des scénarios qui pourraient coller à ce mot. Que veux- tu, c’est tout moi, ça: curieuse avec beaucoup d’imagination. Ton secret m’obsédait. Un père alcoolique? Des parents séparés à couteaux tirés depuis toujours? Une famille rongée par de vieilles chicanes intestines? Un frère en prison? Ou encore une famille née de l’inceste, où ton père et ta mère étaient en fait frère et sœur? J’étais loin du compte. »

On l’apprend assez vite parce qu’Eden se doit de le dire à cette femme dont il est éperdument amoureux. Il va lui expliquer ce mal qui lui a enlevé deux êtres chers. Alors ils vont vivre intensément, voyager partout dans le monde, dévorer la vie autant que possible.

« Tu voulais voir le monde et je voulais te voir voir le monde. Alors nous avons vidé nos banques de vacances compulsivement et pris des semaines à nos frais quand ça ne suffisait pas. Ça ne faisait pas l’affaire de tous les patrons, alors nous bougions. Ciao bye! »

C’est cet amour fulgurant que nous raconte l’autrice avec un incroyable talent qui essaye d’éviter les larmes – ou presque -. Elle raconte la soif et l’urgence pour ce couple à vivre intensément chaque moment.

« Nous vivions totalement dans le moment présent. 

Que faire d’autre quand on n’a pas d’avenir? »

Quand la maladie va faire véritablement son entrée dans leur vie de couple, ils vont tout tenter. Eden a dit à Anaïs qu’elle devra le quitter quand il ne pourra plus lui faire l’amour. Et quand ce moment arrive, après avoir usé de quelques stratégies pour quand même s’aimer encore, quand la tragédie va exploser dans leurs cœurs et leurs corps, ils feront appel à un homme, un troisième, pour les ébats sexuels. Il s’avérera que ça ne pourra pas fonctionner longtemps. Vous lirez pourquoi, et comment Anaïs, finalement, accompagnera Eden jusqu’au bout, après des détours infructueux. Rien que d’écrire ceci, j’ai des frissons dans le dos. 

« Me prendre dans tes bras semblait difficile. Tes mains répondaient mal. Ta tête reposait dans un drôle d’angle. Toi autrefois si beau, si fort, si viril, tu ne t’allais plus à la cheville. Tu étais…si diminué. Ça me faisait mal. Chaque jour, ça me serrait le cœur à m’en donner des douleurs à la poitrine. Te voir trébucher sur mon nom. Te voir laisser tomber un objet. Un autre. Un de plus. Te voir te lever péniblement de ton fauteuil pour aller cueillir un livre trop haut et y retomber comme si tu venais de gravir le Kilimandjaro. Mal, mal, mal, j’avais mal. Tout le temps, chaque fois que je te regardais.

Ce soir-là, me recroqueviller sur tes genoux a été ma façon de ne pas te regarder. Enfouir ma tête contre ton torse et fermer les yeux.

-Va-t’en ‘naïs. Lé pas to tard. »

Quoi qu’il en soit, je ne raconte rien de plus, ce roman est d’une grande force, d’une infinie tristesse, mais aussi très très beau dans une écriture qui nomme les choses sans détours; mais il dit aussi que la vie, même comblée d’amour, parfois ne peut pas être sauvée, que la mort avance comme une ombre jusqu’à ce qu’elle envahisse tout et que c’est inexorable et fatal. Le cœur d’Anaïs ne cessera de battre pour son homme, Eden, le seul, son unique amour.

« Un deuxième amour ne ferait que porter ombrage à la grandeur de ce que nous avions eu, toi et moi. Comme si c’était imitable. Remplaçable. Et ça ne l’était pas. »

Alors vous savez, je ne suis pas une grande adepte des histoires d’amour comme seul sujet d’un livre. Mais là, réellement, c’est bien plus qu’une histoire, c’est une sorte de leçon qui n’en a pas l’air. Une leçon de vie, à garder pour quand ça va mal, pour les jours qui parfois deviennent ténébreux, pour les découragements. Une leçon magnifique, jusqu’au bout. 

Contrairement à ce qui est dit en 4ème de couverture, je ne crois pas qu’Anaïs fasse « les pires choix ». Pour moi, non, tout au contraire, avec un énorme courage elle choisit de vivre son amour, quelles que soient les souffrances qu’elle endurera.

Un très beau livre, fort, difficile parfois, très troublant aussi. J’ai vraiment adoré cette histoire qui, je pense, peut donner également à réfléchir sur ce qu’on attend de la vie. Bravo. C’est un gros coup de cœur.

Anaïs écrit à Eden, le temps des adieux, quatre dernières pages bouleversantes, juste un extrait:

« J’ai écrit ces deux dernières phrases lentement, alignant les mots un à un, chacun portant tout le poids de mon amour pour toi: « Je ne sais pas si j’ai su t’aimer correctement. De la bonne façon. Mais je t’aime. » et pouf.

Après le point final, de battre, mon cœur s’est arrêté.

De battre, ou de se battre. C’est selon.

Mais il s’est littéralement arrêté. »

Gros coup de cœur et j’ai choisi ce morceau pour dire adieu à Eden: