« Yeruldelgger » de Ian Manook – Le Livre de Poche

yeruldelggerUn an de retard. « Les temps sauvages », seconde enquête de l’intraitable Yeruldelgger, flic mongol, vient de paraître et je n’en suis qu’à la première…Mais voilà ! J’ai fait connaissance avec plaisir avec ce flic des steppes. Ces steppes où toute une faune saccage, tue, viole, vole : ripoux de la police ou des affaires mongols, riches Chinois et Coréens en goguette en quête d’aventure.

Les premières phrases :

« Yeruldelgger observait l’objet sans comprendre. D’abord il avait regardé, incrédule, toute l’immensité des steppes de Delgerkhaan. Elles les entouraient comme des océans d’herbe folle sous la houle irisée du vent. Un long moment, silencieux, il avait cherché à se convaincre qu’il était bien là où il se trouvait, et il y était bien. Au cœur des distances infinies, au sud de la province du Khentii et à des centaines de kilomètres de ce qui pourrait un tant soit peu justifier la présence incongrue d’un tel objet. »

Ian Manook a mis le paquet ! Côté violence, c’est sûr que les personnes qui n’aiment pas ça doivent illico refermer le livre, parce que l’auteur nous propose un bel échantillon de tout ce qui peut exister dans des esprits tordus, dans le genre raffinement sadique comme  faire cuire – mijoter, devrais-je dire – quelqu’un auparavant anesthésié à l’alcool et à la drogue, en le posant délicatement à cheval (et nu) sur un gros conduit de chaufferie – en fonctionnement, bien sûr – ; peut-être a-t-il un peu forcé la dose, Manook, mais tout est un peu « trop » dans ce livre, qui au bout du compte a un côté film de série B, film d’aventures un peu rocambolesque…Et ça ne m’a pas gênée. Ni la violence – que je ne trouve pas voyeuriste personnellement, enfin pas plus que dans plein d’autres livres qui traitent de meurtres sadiques et pervers, ni l’accumulation de criminels, de crimes, de corruption, ça ne m’a pas gênée…parce que qu’on veuille le voir ou non, le monde a bien souvent hélas ce sinistre visage.

mongolia-486864_1280« […]Oyun se demandait souvent pourquoi sa belle Mongolie semblait aussi délabrée. Partout, quand elle traversait les banlieues et les villages, elle ressentait cette impression étrange d’un abandon résigné. Comme si le quotidien des gens, dans ce pays immense et magnifique, s’étriquait dans un présent rabougri avec pour seule ambition de survivre aux jours qui passent. Elle ne savait pas si le pays de l’intérieur était un chantier à l’abandon, ou une construction en décomposition. Et elle gardait toujours ce sentiment étrange d’un passé et d’un futur sans vie qui laissaient les pauvres gens dans un présent sans ambition, fait de petits espoirs quotidiens. Ou de petits désespoirs… »

 Et Manook a la mansuétude, pour nous consoler un peu de tant de cruauté, de nous transporter des égouts d’Oulan-Bator aux fabuleux paysages de la grande steppe et des flancs de l’Altaï. La Mongolie, je dois dire, est au top des lieux qui me font rêver, comme une enfant qui adulte sait parfaitement et tristement que tout ça disparaît . Entrer ( du pied droit et en restant à gauche -) dans la yourte, voir le jour rose se lever en mangeant de la confiture de myrtille devant la steppe, ces passages du roman révèlent une belle écriture, des observations de la nature, ours, hérons, marmottes (alors elles…cuites aussi, des pierres chaudes dans le ventre, désolée ! ) très joliment travaillées et bénéfiques à l’ensemble. Car Yeruldelgger, homme blessé, a besoin d’apaisement que son métier ne lui permet guère de trouver.

car-breakdown-487143_1280Ici, tout commence avec des nomades qui trouvent dans la steppe la pédale d’un petit vélo rose, affleurant de la terre, et dessous…Cette scène du tout début du livre est dédramatisée par un humour noir comme j’aime : les braves nomades curieux ont déterré leur découverte, et l’ont ré-enterrée, bien comme il faut « pour ne pas polluer la scène de crime », conformément à ce qu’ils ont appris d’Horacio Caine…Vous ne connaissez pas Horacio Caine ? « Les experts Miami » voyons ! – la parabole est planquée derrière la yourte ! -. Au fil du livre, en plus de tous les tordus corrompus, on croise aussi des chamans et des moines shaolin, un van bleu et un ours, un gamin de la rue , bref : c’est foisonnant, trop pour certains, oui, peut-être un peu, mais j’ai pris du plaisir quand même avec ce livre, même si je ne mettrais pas – très loin de là – , comme c’est fait en 4ème de couv’, Ian Manook au même niveau que Mankell, Rankin ou Indridason.

yurt-486866_1280Ce que j’ai préféré, ce sont les descriptions de la culture traditionnelle mongole (comme la recette des marmottes, tiens !), les paysages et la nostalgie de Yeruldelgger pour ce monde en voie de perdition.

Pour illustrer cette culture, je vous propose de revenir en arrière à cet article que j’avais posté à la suite d’un concert assez exceptionnel de chant diphonique mongol.