« Le quatrième mur » de Sorj Chalandon – Grasset

chalandon Terminé hier, ce livre me laisse une très forte impression de désolation, et il reste en tête de façon tenace. Encore un de ces romans puissants, d’où on ressort médusé face à l’incurie des hommes, qui recommencent encore et encore les horreurs fratricides et qui laissent sceptiques – au minimum…-  face aux efforts de ceux qui œuvrent pour la paix.

J’avais beaucoup aimé « Retour à Killibegs », qui se passe en Irlande du Nord pendant la guerre civile, ici nous partons au Liban en 1982. Chalandon sait de quoi il parle . Journaliste au « Canard enchaîné », puis grand reporter et rédacteur en chef adjoint à « Libération », il obtient le prix Albert Londres pour ses reportages sur l’Irlande du Nord et sur le procès Barbie. Auteur de 6 romans, tous ont été couronnés de prix dont certains de renom ( Académie Française, Médicis, Goncourt des Lycéens ).

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Sorj Chalandon parle de l’amitié, ce qu’on fait au nom de l’amitié, et il le fait avec une sensibilité qui me touche profondément. L’amitié est une chose vitale dans ma vie et je comprends le personnage, Georges, qui par amour pour son ami mourant Sam le Grec juif, rescapé du régime des Colonels , va tenter une aventure utopique : donner une représentation de l’Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth, avec des comédiens de toutes les factions engagées dans le conflit libanais : druzes, palestiniens, israéliens, chrétiens et musulmans, chiites et sunnites…Une parenthèse dans ce conflit, une courte parenthèse, mais montrer que c’est possible. La description du massacre de Sabra et Chatila est un moment d’épouvante absolue…L’histoire se finira dans l’horreur que l’on sait et Georges en reviendra ravagé.

Quelle idée extraordinaire d’avoir choisi cette Antigone ! Le roman est ouvert par le prologue de la pièce:

« Voilà. Ces personnages vont vous jouer l’histoire d’Antigone. Antigone, c’est la petite maigre, qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. Elle pense qu’elle va être Antigone tout à l’heure, qu’elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser en face du monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi. Elle pense qu’elle va mourir, qu’elle est jeune et qu’elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. mais il n’y a rien à faire. Elle s’appelle Antigone et il va falloir qu’elle joue son rôle jusqu’au bout… »

Et s’achève sur  l’épilogue , résumant si bien l’absurdité de la guerre:

« Et voilà. Sans la petite Antigone, c’est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c’est fini. Ils sont tout de même tranquilles. Tous ceux qui avaient à mourir sont morts. Ceux qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient le contraire même ceux qui ne croyaient rien et qui se sont trouvés pris dans l’histoire sans y rien comprendre. Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris. Et ceux qui vivent encore vont commencer tout doucement à les oublier et à confondre leurs noms. C’est fini. » 

Jean Anouilh – Antigone (1942)

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Pour finir, je dirai que le fait que ce roman ait obtenu le Goncourt des Lycéens m’a émue, me ramenant justement à mes 16 ans, au lycée, jouant avec ma meilleure amie ( qui l’est restée et qui fut comédienne…) une scène de cette pièce en cours de français, la scène entre les deux sœurs Ismène et Antigone. Nous avions une prof formidable, sans doute une des personnes les plus importantes dans ma vie de lectrice, Melle Anjary. Les cours étaient vivants, animés de débats et donc cette scène jouée avec Marie; j’étais Antigone parce que ce jour-là, je portais une longue robe noire qui collait au personnage. Nous avons fini dans les bras l’une de l’autre, totalement en phase avec les personnages, devant le reste de la classe qui applaudissait. Cette pièce est restée pour moi liée à ce souvenir d’amitié si fort avec celle que j’appelle ma troisième sœur…

Une scène :

 

Quatrième de couverture:

« L’idée de Sam était belle et folle : monter l’Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour détruite et jardin saccagé.
Samuel était grec. Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour, il m’a demandé de participer à cette trêve poétique. Il me l’a fait promettre, à moi, petit théâtreux de patronage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à Beyrouth le 10 février 1982, main tendue à la paix. Avant que la guerre ne m’offre brutalement la sienne… »

Vous l’avez compris, j’ai aimé ce roman, bien écrit et d’une force terrible. Un exorcisme pour l’auteur, comme il l’explique si bien :

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Et puis, si vous ne pouvez pas la voir sur scène, relisez « Antigone »…

14 réflexions au sujet de « « Le quatrième mur » de Sorj Chalandon – Grasset »

  1. Est ce vraiment raisonnable de lire un livre pareil quand on est un peu dégoûté de l’humanité ?Tu me diras, ça fait relativiser !Poignant et hélas si ancré dans le réel… Quant à Antigone…Ah, Antigone …Le livre de mon adolescence…Comme cela me fait plaisir que tu en parles, j’en suis émue de si bonne heure !Je rêvais alors de jouer Antigone, mais déjà, y avait un problème, je ressemblais à Ismène ( un malentendu qui m’a poursuivi) et je ne faisais pas de théâtre !Sa quête d’absolu me bouleversait…Avec le temps, j’ai changé de regard…Peut être est ce plus courageux de vivre…Mais je garde une tendresse absolu pour la maigre, noiraude et intraitable Antigone,c’est bien elle qui me fait mettre en colère aujourd’hui, cette colère salutaire !
    Bises ma Livrophage et merci

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    • C’est pour moi un des plus beaux personnages que je connaisse…Typique de l’adolescence, je crois, et on y reste, oui, attaché à vie. Je ne sais pas si c’est raisonnable, bien sûr, de lier ça quand on a le bourdon, j’ai un côté maso que je ne nie pas, faut croire ! Mais j’avais envie de lire ce bouquin, parce que j’aime l’auteur…

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  2. Désespoir bonjour ! Ce qui tranche, c’est que l’auteur lui-même est quelqu’un d’hyper drôle et dynamique, ce qu’on ne soupçonne pas si on se cantonne à la lecture. Je ne l’ai pas lu, simplement feuilleté, et ça m’a suffit. Là, j’ai besoin de beau temps littéraire ! Un jour, je le lirai, quand je serai en forme et que tout ira bien.
    A très bientôt !

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    • Hello Mary !

      Très sympathique, Chalandon, j’adore l’entendre parler et j’aime ses livres ( j’en ai encore deux ou trois à lire ). C’est vrai, c’est dur, et pire que ça, parfois insoutenable, mais bon…Je vais lire quelques polars qu’on m’a donnés et là je suis sur des nouvelles américaines, j’aime. Seras-tu aux Quais du polar ? J’y vais le samedi, avec ma valise de livres à dédicacer !!!Il y a Ron Rash ! Je vais lire le dernier qu’une amie m’a offert avant d’aller le voir, et puis une conférence sur le western…Alors toi aussi, petite forme ? Allons, encourageons-nous, les blogueuses !

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      • Non je peux pas y aller. J’ai déjà pleuré dans mon coin merci. Je suis un peu dégoûtée, mais bon, peut-être qu’à la librairie, je vais avoir notre ami Craig rien que pour moi un petite heure – je suis souvent leur interprète anglais 🙂 Quand on me l’a dit lundi, j’ai sauté au plafond tellement fort que je m’en suis cognée la tête (presque). Le dernier Ron Rash est une merveille, je l’avais chroniqué à sa sortie c’est un de mes coups de cœur de la rentrée. Tu me diras pour tes polars !
        Je suis en forme, mais j’ai pas mal de boulot en ce moment et je ne lis pas autant que je voudrais, mais ça va. J’aimerai bien que le beau temps revienne quand même, qu’on ait un peu de soleil ; ca sonne bizarre quand je le dis vu que j’aime pas l’été mais à un certain moment la pluie ca va bien.
        Amuse-toi bien aux Quais, tu me raconteras tout ! J’ai aussi deux collègues qu’on a envoyés sur place, mais je ne fais pas partie du convoi, dommage. Oh, et si tu rencontres Qiu Xiaolong, il est adorable !C’est quoi tes nouvelles américaines?

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        • Je te raconterai, et puis ma fille est bénévole pour la deuxième fois, accueil de VIP ma chère ! Elle a une collec’ de dédicaces d’enfer ! T’inquiètes, le soleil revient, ici ça va; j’espère que la pluie ne va pas nous em…..pour les Quais. J’irai voir Qiu Xiaolong, je lui ferai une bise de ta part, ahahah !
          Ben veinarde ! Une heure avec Craig ! tu me raconteras toi aussi, n’est-ce pas? Je ne doute pas une seconde que Ron Rash nous a écrit un petit bijou une fois de plus…Je ne sais pas toi, mais mon préféré est « Séréna »

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          • Promis, je le saluerai de ta part si le projet se réalise ! C’était mon premier Ron Rash (oui j’ai honte!) et Séréna est en réimpression, alors je prends mon mal en patience !
            VIP en plus, ma chère. Alors profite à fond et tu me raconteras tout ça !!

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  3. J’ai vu cette pièce avec Hossein (pas terrible, lui…) et cette actrice superbe dans le rôle dont je ne me souviens plus le nom, mais je crois que c’est la petite fille de Malraux, non?

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    • Je suis d’accord, je n’aime pas Hossein, il ne colle pas et puis pas que dans cette pièce ( je n’ai trouvé que cet extrait ), par contre la comédienne, c’est Barbara Schulz et oui, elle est formidable, elle a une présence très forte. Je ne crois pas qu’elle ait un lien avec Malraux, mais en tous cas, elle est une belle Antigone

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  4. Antigone, c’est en effet notre adolescence quand on a grandi en France. J’imagine que cette oeuvre remarquable est toujours au programme? Moi aussi j’ai eu la chance d’avoir une prof de lettres inoubliable. Et ce livre dont vous parlez si bien semble tout aussi inoubliable. Merci.

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    • Je ne sais pas si c’est toujours au programme, mais je pense qu’après que les lycéens aient donné leur Goncourt à Sorj Chalandon pour son roman, ils ont du tous lire Antigone; et oui, un roman difficile à se sortir de la tête.

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