« La mort du torero » -Ed Lacy – éditions du Canoë, traduit et préfacé par Roger Martin ( USA)

La mort du torero par Lacy« Frances m’éveilla par un baiser dans le noir. Nous dormions nus et, comme je faisais glisser paresseusement ma main le long de son dos satiné avant de m’attarder sur ses hanches pleines, elle se retourna brusquement et murmura: « Touie, pose ta main ici. »

Touie, c’est le petit nom que donne Fran à Toussaint Marcus Moore, son mari et amour. Tous deux ont la peau noire – et je le précise parce que l’aventure que va vivre Touie  dans ce roman le ramènera parfois à sa couleur de peau et à ce qu’elle évoque à certains –  Touie, lui, travaille pour la Poste. Il fut détective et cette histoire va le remettre dans ce costume qu’il n’aime pas, ou plus. Fran lui annonce qu’elle attend un enfant. Il va donc falloir plus d’argent, et c’est ainsi qu’il acceptera une mission au Mexique, bien à reculons, mais il ira.

« À la seule pensée de reprendre une activité de détective, de fouiller dans les poubelles d’autres êtres humains, je me sentais minable. J’appelai la poste, dis au répartiteur que je ne me sentais pas bien et lui demandais si je pouvais prendre mon après-midi à partir de treize heures.

« Pas de problème, Touie. J’ai compris que t’étais à côté de tes pompes ce matin. Une soirée trop arrosée? »

Je n’étais jamais venu aux nouveaux bureaux de Ted et je me sentais déplacé avec mon pantalon et mon coupe-vent usés, plus sales que jamais après les livraisons de paquets. Sur sa porte, on lisait simplement Agence Ted Bailey, en lettres de taille modeste, sans indication qu’il s’agissait d’une boîte de privé. la réceptionniste rousse coquette était aussi voyante que le mobilier moderne et les quelques tableaux contemporains sur les murs. »

La  femme d’un journaliste pense que son époux a été assassiné par le célèbre torero El Indio, à cause de ses articles critiques sur cette star locale de la tauromachie. Celui-ci est en effet soupçonné de tricher et notre détective doit faire tomber le masque. La cliente, Grace, est herpétologue et notre détective, ça lui fait froid dans le dos. Mais c’est un homme calme, réfléchi, très fin aussi dans l’approche psychologique de ses rencontres.

Je découvre là un auteur dont j’ai tout aimé. Son histoire, ses engagements, son écriture, sa bienveillance avec les personnages féminins. Autant vous dire que ce roman est un coup de cœur, parce que cet écrivain ( je vous mets plus bas la présentation de l’éditeur ) est assez différent des auteurs de roman noir de cette époque. Il met en scène un personnage doux, calme, qui préfère éviter la violence. Qui est fin observateur. Et qui décrypte son environnement avec beaucoup d’intelligence. En mission au Mexique, il y rencontrera les mêmes préjugés envers sa peau noire qu’à New York, on lui donnera les mêmes noms insultants, qu’il traite sans un froncement de sourcil…ou presque.

J’ai trouvé l’enquête presque secondaire dans ses détails, tant j’ai aimé observer cet homme. Sa relation aux femmes – je n’hésite pas une seconde à dire que le détective est féministe ( je sais que ça en énerve pas mal, je m’en fiche ), mais oui, féministe car respectueux, compréhensif, tolérant, patient et gentil – j’aime ce mot – en toutes circonstances avec les femmes. Même avec la terrible Janis, qui n’est pas de tout repos, mais quel beau personnage, elle aussi ! Grace, regard sceptique sur Janis et l’affection que lui porte Touie:

« Elle me fixa longuement, alluma une nouvelle cigarette, ses mains tremblaient.

-Toussaint, vous m’intriguez. Comment Janis peut-elle compter autant à vos yeux? Qu’était-elle sinon une petite cul-terreuse stupide et alcoolique?

-Écoutez bien, Grace, j’ai réfléchi à cette question plus longtemps que vous ne pouvez l’imaginer. C’est vrai, Janis était tout ce que vous venez de dire, mais elle était aussi un être humain, honnête à sa façon. Et Franck Bane était un arnaqueur brasseur de vent, mais je ne sais pas trop ce qui l’avait poussé dans cette voie, et, quoi qu’il ait fait, il n’a jamais lésé quiconque. Et puis, je vais avoir un gosse, je ne suis pas certain de le désirer, mais ça ne change rien au fait que je vais l’avoir. Pour le bien de mon gosse, je veux débarrasser la terre de gens comme Cuzo, qui, pour de l’argent vite gagné, tuent sans pitié ceux qui se trouvent sur leur chemin. »

De Mexico à Acapulco, on suit cet homme pacifique (autant que faire se peut ) qui réglera l’affaire aussi vite que possible, parce qu’il a hâte de rentrer chez lui, près de son épouse adorée, à laquelle il pense tout le temps. Car quant à se faire traiter de « négro », autant que ce soit chez lui. Cet aspect du livre est important, qui dénote un engagement militant, contre le racisme et contre le sexisme.

Fin du torero, selon Toussaint:

« Je me disais que Cuzo lui aussi avait dû être heureux, sinon il aurait fui l’arène ou essayé de toréer sans prendre de risques. Mais il avait revêtu l’habit d’un surhomme et désormais les gens ne connaîtraient jamais la vérité. El Indio, l’ancien esclave, avait trouvé la mort en héros populaire au lieu de finir comme un imposteur, une sorte de pantin national.

Moi-même je préférais ce sale type dans l’habit d’un héros. »

Un énorme coup de cœur pour cette enthousiasmante découverte. Tout y est remarquable, l’histoire, le ton, l’écriture et évidemment la traduction qui rend si bien le caractère des personnages. Chapeau !!!  Et MERCI Aurélie !