« Le voyage de Robey Childs » – Robert Olmstead – Gallmeister, traduit par François Happe

couv rivire« En ce dimanche 10 mai de l’année 1863, Hettie Childs appela son fils Robey, et lui demanda de redescendre des anciens champs. C’était le soir. Il longeait la clôture de la haute prairie où broutaient les bêtes, mâchonnant un brin d’herbe nouvelle qui poussait dans les parties à faucher, au bord de la pâture. »

Ainsi commence ce roman tour à tour poétique et violent, et souvent les deux à la fois. Roman initiatique sur les pas d’un jeune adolescent, Robey, 14 ans. Envoyé par sa mère à la recherche du père soldat, quelque part sur un champ de bataille où la guerre de Sécession fait rage, Robey va rejoindre l’âge d’homme en retrouvant son père.

« Alors qu’auparavant le temps lui appartenait, désormais il n’en était plus maître. On l’envoyait dans le vaste monde, lui qui n’avait que quatorze ans, lui qui était si ignorant de la vie. »

C’est un livre assez étrange, une vision de la guerre par les yeux d’un encore-enfant, qui découvre le monde avec stupeur, l’immensité du territoire et les mille dangers à affronter du haut de son cheval. Un vieil homme va lui « prêter » un superbe étalon noir, d’une extrême intelligence, et la place de ce cheval-ci en particulier, mais de tous les autres également, est très importante ici.

horse-1051610_1920Pourquoi est-ce que je dis « étrange »? Parce que souvent, surtout dans la première partie, celle où Robey est sur la route et pas encore dans les miasmes des champs de bataille, celle où Robey est encore un enfant, j’ai eu l’impression de lire un conte un peu effrayant, sombre et peuplé de personnages bizarres et inquiétants, comme cette personne sur laquelle grouille la vermine, et puis les maisons abandonnées dans lesquelles Robey trouve des objets qui « parlent » des occupants des lieux, disparus, un conte fantastique à la manière de Maupassant, peut-être. On suit comme sur un jeu de piste les toutes premières empreintes laissées par la guerre, semées ça et là sur la route de Robey qui au fil des pages et des choses épouvantables qu’il va croiser, va devenir adulte. Mais ce qui fait l’énorme force de ce livre, c’est ce qu’il dit des hommes et de la guerre qu’ils font, qu’ils se font. Une des plus belles idées du roman, c’est celle qui fait coudre à la mère une veste d’uniforme réversible, un côté bleu et l’autre gris, veste qui doit permettre à Robey de « s’adapter » en retournant sa veste ( ! ). Car quelle que soit la couleur du tissu, dans l’uniforme il y a un homme qui tient une arme et qui est sans cesse face à la mort, celle des autres et la sienne. La partie du livre qui décrit ces champs d’horreur est d’une grande violence, la violence de la réalité de la guerre ( ça, ce n’est hélas JAMAIS hors d’actualité ), celle qui montre à quel point c’est idiot (bien trop doux euphémisme )

« On pouvait trouver là, éparpillé sur ces quelques centaines d’hectares, tout ce qui constitue un être humain, à l’intérieur comme à l’extérieur. Il y avait assez de membres et d’organes, de têtes et de mains, de côtes et de pieds pour raccommoder corps après corps – il ne manquait que le fil et l’aiguille. Et une couturière céleste. »

civil-war-sept-1862N’est-ce pas une manière sombrement poétique pour dire la boucherie qu’est la guerre ? Et Robey d’en conclure:

« Il se dit que si tous ces hommes étaient morts en combattant la guerre, c’était donc que la guerre était en train de gagner. »

De rencontres en rencontres, de constats sur le monde en coups qui endurcissent, Robey, rejoint par une jeune fille frêle mais dure, va devenir l’homme qui retrouve son père, des passages bouleversants, comme ici une bien étrange scène d’eucharistie:

 » Il savait que la vie ne signifiait pas grand-chose pour lui, mais là, il s’agissait de la vie de son père.
— Je me transfère en toi, lui dit son père, et te voilà déjà un vieil homme.
Puis il ajouta :
— Je vais venir.
Bien qu’étrange, la métamorphose du fils qui recevait le père en lui et qui, à son tour, devenait le père, fut tangible et complète, et il put la sentir s’opérer en lui. Il la sentit affermir son emprise tandis que les paroles étaient prononcées. Puis tout fut terminé, et il n’était plus un enfant. Il n’était plus un enfant, parce que son père était mort. »

Un très beau livre enfin, une écriture précise et sans apprêts inutiles, une écriture fine dans le choix des mots et dans l’architecture qu’ils construisent, une écriture qui sobrement mais sensiblement dit comment l’humanité résiste à l’horreur en y prenant sa part:

« Ceux qui étaient ici n’étaient pas des fous furieux. Ils n’ont pas fait ça par amour, ni par avidité, ni par ignorance. C’était des fils de bonne famille, ils étaient instruits. Ce que tu vois ici, c’est l’humanité. Le genre humain tel qu’il est. »

Belle lecture, vraiment.

 

13 réflexions au sujet de « « Le voyage de Robey Childs » – Robert Olmstead – Gallmeister, traduit par François Happe »

  1. Celui-là aussi je l’ai emprunté et rendu sans le lire, cause que j’ai toujours les yeux plus gros que le ventre… Il me semble un peu dans la lignée de « Nerverhome » de Lair Hunt ce roman…

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    • Un peu, mais c’est un enfant au lieu d’une femme. L’écriture est magnifique, vraiment dans toute la première partie, je me serais crue lisant un conte fantastique, une ambiance très spéciale…Beaucoup aimé, parce que ça se démarque par cette écriture et la façon de traiter le sujet. Emprunté aussi à la médiathèque ( ça doit être à peu près le seul livre de Gallmeister qu’ils ont, c’est pitoyable !)

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  2. Ce dernier paragraphe que tu cites, me fait penser à cette video d’un pilote du Vietnam qui commente en direct et avec exultation ses bombardements. Tout à coup, tu entrevois ce que peut aussi être le genre humain, ni saint ni démon, mais capable du pire et du meilleur.

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  3. je viens de lire ce billet d’une traite et j’ai immédiatement noté les références, Gallmeister est vraiment un éditeur à suivre, j’avais énormément aimé Birdy et Wilderness, ce roman me semble de la même famille

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    • Je ne comprends pas pourquoi tes commentaires étaient dans les indésirables, la correction est faite ! Oui, très beau bouquin, très original sur l’ambiance, le ton, j’ai vraiment aimé. oui, bel éditeur que Gallmeister, plein de belles voix à découvrir…Après, difficile de suivre les parutions, je prends mon temps, on ne fait pas de course, hein ? 😉

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  4. Un récit poignant à commencer par cette mère qui envoie son fils à la guerre tout en cherchant à le protéger avec cette veste réversible, des extraits magnifiques de simplicité… Merci pour la découverte 🙂

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