« Rares sont les Gitans qui acceptent d’être tenus pour pauvres, et nombreux pourtant sont ceux qui le sont. »
Je n’avais pas encore lu ce petit livre qui m’attendait patiemment sur son étagère. Je n’avais encore rien lu d’Alice Ferney, et j’ai beaucoup aimé cette histoire, écrite en 1997. Les choses ont-elles changé depuis ? Je ne crois pas. Pas beaucoup.
Esther, bibliothécaire, décide un jour d’apporter des histoires aux enfants d’un camp de Gitans sur un terrain vague. Installés ici par la volonté de la propriétaire, ancienne institutrice humaniste, ils vivent dans un grand dénuement matériel, le confort est absent, les règles sont les leurs, et les incursions des hommes vers le monde extérieur n’ont pour but que de subvenir à l’essentiel de leur façon peu orthodoxe, mais c’est la leur..
« Non, se disaient maintenant les frères gitans, leurs vies n’étaient pas si misérables. Ils n’étaient pas les plus pauvres. Ils n’étaient pas des rampants sans feu ni lieu, puisqu’ils avaient des camions, des caravanes et de belles femmes qui portaient de jeunes enfants. Que pouvait-on demander de plus à la vie ? »
J’ai bien entendu retrouvé à travers Esther, ces mercredis où très vite les enfants l’attendent – « Lis ! Lis ! » – ce bonheur inouï que procurent les visages enfantins aux yeux qui brillent, aux sourcils froncés, à la bouche bée, ce bonheur qu’on leur voit à écouter ces histoires et celui que ressent la personne qui lit. Mais bon : au loin, la mélancolie…
Alice Ferney, d’une belle écriture très sensuelle, dépeint les membres et la vie de cette famille, groupée autour de la mère et grand-mère, Angéline. Quatre fils, dont un célibataire et une nuée de petits enfants, débraillés et crasseux, mais pleins de vitalité. Elle parle de l’amour qui unit cette tribu, mais aussi de ses défaillances, les tromperies, les coups, la violence, des hommes pas très fiables, des femmes toujours à la tâche, entre les amours plus ou moins heureuses, les enfants nés et les enfants perdus.
Peu à peu, Esther va se faire apprivoiser, accepter, et ses lectures deviendront un rituel important, jusqu’à ce qu’un grain de sable plus gros que les autres dérègle les rouages déjà bien abîmés des mécanisme de survie. La mission que s’est donnée Esther s’avère moins facile quand elle décide de scolariser Anita, fillette qui ignore tout ou presque de la vie hors du terrain vague, loin du feu de sa grand-mère. Et c’est ici que la bonne volonté trouve ses limites, car Anita sera malheureuse dans cette école où on l’insulte, qui l’oblige à se lever tôt, et même si elle apprendra à lire et écrire, on se dit que ce modèle n’est pas fait pour cette enfant, la même norme pour tous, ça ne marche pas… J’ai bien aimé la présence du feu, le foyer qu’entretient Angéline, sur lequel elle veille et près duquel elle se réchauffe et observe. Elle est la vigie, celle qui voit et qui sait. Et celle qui explique :
« Profite, dit-elle. C’est de la douleur d’aimer, ça c’est bien sûr, mais c’est tout pire de ne pas aimer. Elle dit : on est fait pour ça. Et les femmes encore plus que les garçons. Une femme, dit-elle, c’est pour se donner en entier. Ne te garde pas. Ce qu’on garde pour soi meurt, ce qu’on donne prend racine et se développe. Misia écoutait. La vieille dit: L’amour c’est le plus difficile. Ça vous prend, ça vous malmène, ça vous agite. Et puis quand on croit que c’est gagné, qu’on a dans sa vie celui que l’on voulait, ça se lasse, ça se fatigue, ça se remplit de doute. Mais c’est que dans ce manège qu’on a l’impression de vivre. »
Histoire touchante, un beau texte sur la vie de ces gens à la marge.
Enfin, jolie note finale où Nadia, la belle-fille préférée d’Angéline, veut lire « un rôman »:
« Elle fouillait dans la caisse de livres. « Petit-Bond en hiver ». C’était son préféré. Je te lis, disait Nadia. Elle se courbait en deux sur la page. Et Petit-Bond marchait dans la neige et Nadia était émue. »
Des souvenirs d’enfance me sont revenus en lisant ce bouquin. Je vivais alors dans un village du Beaujolais, j’avais 7, 8 ans, et nos voisins, vignerons, engageaient tous les ans une troupe de gitans. Ils avaient alors encore des roulottes colorées et des chevaux ( fin des années 60 ) et campaient sous nos fenêtres. Je me souviens de Violette, jeune fille vêtue de mauve, en longue jupe et anneaux d’or aux oreilles, qui venait en classe avec nous. Il y avait d’autres enfants, mais je la trouvais belle, et sa robe à volants me faisait rêver. Le soir, il y avait le feu de camp, et les guitares. Mon grand frère qui en jouait, assis à la fenêtre, avait été très flatté qu’un des hommes de la troupe l’entende et lui dise qu’il jouait bien. Mais aussi, les bagarres au couteau et un soir, un marchandage autour d’une femme à vendre…Mon imaginaire a été très marqué par ces gens qui arrivaient à l’automne au rythme des chevaux, avec leurs maisons en couleur, leur langue mystérieuse, leurs vêtements pas ordinaires et leur liberté…et j’ai ressenti une grande tristesse à les imaginer dans la boue d’un terrain vague.
Un beau livre et un artiste à découvrir, Isidre Nonell.
Je n’ai pas encore lu Grâce de dénuement. Mais si vous souhaitez davantage connaître Alice Ferey, lisez donc d’abord La Conversation amoureuse. C’est une d’analyse merveilleuse de l’approche amoureuse entre deux êtres.
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Merci, je note. En fait j’ai commencé avec celui-ci, parce que le sujet me plaisait.
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Et pas seulement Nonell….. il y avait en même temps Sorolla, Zuloaga, Solana, Rusiñol, Regoyos ……(‘vu à Paris dans une belle xpo à l’Orangerie en 2011 – dont les « tsiganes ») ……
Quant à A. Ferney je confirme les dires de Bakalian – La C. amoureuse est pas mal dans la peinture de l’approche (mais aussi la défaite amoureuse…..les rouages sont farpaitement décrites…..
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Je me le garde sous le coude, quand je serai d’humeur à ce genre de lecture…Et je note les références peinturesques 😉
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toutefois pas facile de les retrouver ces pintores, tous ensemble à un seul endroit (sauf peut-être à Madrid) ….
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Je ne suis pas voyageuse, et je remercie internet, les visites virtuelles et tout ça, mais évidemment, rien ne vaut la vraie toile…Qu’elle est longue, l’attente de la retraite de mon mari, qui nous permettra de filer voir des expos quand on voudra…
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Bonjour,
Je viens de chez Kaliadi où j’ai trouvé vos commentaires qui m’ont amenée à ce blog…
Je dois dire que « grâce et dénuement » est vraiment mon livre préféré d’Alice Ferney mais que je n’ai pas aimé « la conversation amoureuse ». Je ne sais pas trop parler de ce que je lis, alors j’aurais du mal à expliquer pourquoi… mais je n’y ai rien retrouvé de cette délicatesse des relations entre personnes, même dans la violence, ce sentiment de fraternité avec ces gens souvent critiqués, cette originalité du sujet choisi.
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Bonjour !
A vrai dire, je ne sais pas si je lirai autre chose d’elle; là, c’est mon fils qui me l’a offert, et le sujet me touche. On m’a conseillé la conversation amoureuse, mais je ne suis pas sûre de le lire.
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Le résumé que vous faites de ce livre est alléchant !
L’école chez les Gitans est entrée dans les mœurs, mais non sans mal. Ceux de mon époque ( j’ai 63 ans) n’ont pas usé leurs culottes sur les bancs de l’école. Mais l’intégration quand on reste seulement 2 ou 3 jours dans un village est loin d’être parfaite, le petit gitan(ne) est souvent » oubliée « au fond de la classe.
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C’est un très joli livre, touchant à plus d’un titre. Le problème reste entier pour ces populations qui ne vivent pas selon nos règles sédentaires.
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Oui, je me souviens d’un petit Tzigane qui venait jusqu’à ma caravane, il touchait mes livres, et me demandait : Débla c’est écrit quoi là ?
Je lui lisais le mot, de fil en aiguille en quelques semaines il avait appris l’alphabet et commençait à tracer quelques lettres…
C’était il y a bien longtemps !
Aujourd’hui il sait lire et écrire et il est en train de lire le livre que j’ai pu écrire( après bien des hésitations) dédié à sa famille et à mes petits enfants.
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J’ai fait un petit tour sur votre blog, je m’y attarderai un peu plus longuement un peu plus tard : le soleil et le jardin sont irrésistibles !
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Bonjour, je voulais demander à celles et ceux qui ont lu ce livre, selon vous quelle est la morale importante que vous retenez ?
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Bonjour, je crois que j’ai tout dit dans mon petit article sur ce très beau livre. Et je ne sais pas s’il y a une « morale » à tirer de cette histoire; je n’ aime pas l’idée du mot « morale », mais le constat que la lecture, les histoires contées, au moins, sont belles et bonnes pour tout le monde. Même si elles ne « sauvent » pas, elles apportent le temps de leur chemin , un peu de bonheur, non ?
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Un très beau livre effectivement, très bien écrit. J’ai beaucoup aimé également La conversation amoureuse ainsi que Les bourgeois. Des sujets totalement différents mais où le talent d’Alice Ferney est immense.
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