« Le livre du roi », Arnaldur Indridason – éd.Métailié, traduit par Patrick Guelpa

ob_bd3b62926dd75a93c7daf29a624c2dfe_le-livre-du-roiJe viens de fermer ce « Livre du roi », lu avec plaisir, comme tout ce qu’a écrit Indridason jusqu’à présent. J’ai parcouru un peu ce matin les avis des lecteurs. Alors c’est sûr que ceux qui n’attendent qu’Erlendur et ses enquêtes seront désappointés, voire déçus. Ceux qui savent qu’Indridason est un écrivain au plein sens du terme seront comme moi assez bluffés par la capacité de l’homme à écrire dans des genres si différents, mais toujours avec le même sens des mots bien ajustés, et son intelligence aigüe qui crée sous sa plume des caractères humains d’une grande finesse. 

Quand j’ai lu les premiers articles sur ce livre, j’ai pensé à un Indiana Jones islandais ! L’aventure du vieux professeur alcoolique et de son jeune étudiant en recherche du père, cette quête, dans une course poursuite très réaliste de ce Livre du Roi ( Codex Regius, pièce majeure de l’Edda poétique ) dénotent aussi un auteur en phase avec la culture et l’histoire de son pays, avec la connaissance du patrimoine de l’Islande.

Skírnismál-748-2vMêlant des personnages réels à cette aventure, Indridason nous la rend plus crédible ; par exemple  Halldór Laxness, poète islandais, Nobel de littérature en 1955 , arrive en Islande à la fin du roman pour être honoré . Au récit de pure aventure, rendant tout ça ainsi plus profond, Indridason mêle l’histoire de la seconde guerre mondiale et la relation des nazis avec la culture nordique, la récupération et les interprétations que leurs idéologues ont pu en faire. Ce vieux prof alcoolo, qui arrête de boire tant  ce livre et sa quête l’obsèdent et l’occupent est très attachant, bien qu’extrêmement agaçant !

Quant à moi, j’ai aimé ce livre, même s’il n’est pas mon préféré, parce qu’il m’a donné envie d’en savoir plus sur ces manuscrits, sur ce pays et son histoire. Retournez sur  http://www.toutelislande.fr/  , vous y trouverez plein d’explications simples et compréhensibles par tous.

443px-EddaJe ne manquerai pas non plus de vous parler à nouveau de Patrick Guelpa, le traducteur, dont j’avais déjà parlé pour « Bettý », roman sans conteste parmi mes livres préférés. Il avait réalisé là  un tour de force tant la traduction avait dû être compliquée, et tant elle est réussie !

Two_V_C3_B6lusp_C3_A1_Dwarves_by_Fr_C3_B8lich_mVous pouvez lire sur ce blog ce que Mr Guelpa a gentiment accepté de me dire de la traduction de « Bettý »…en ne dévoilant rien de l’histoire, autre prouesse ! Eric Boury s’occupe d’Erlendur, et Patrick Guelpa a  donc traduit ces deux livres « hors série », et bien évidemment, « Le livre du roi » a dû lui convenir parfaitement parce que…c’est tout à fait son domaine : 

« Patrick Guelpa est Maître de Conférences habilité à diriger des recherches à l’Unité de Formation et de Recherches de l’Université Charles de Gaulle – LILLE III à Villeneuve d’Ascq (Nord)

Agrégé d’Allemand, Docteur en Études Scandinaves anciennes et modernes (Islandais), il enseigne la grammaire et la linguistique allemandes ainsi que l’islandais (langue, littérature et civilisation). Il effectue des recherches dans les domaines de la linguistique, de la littérature et de la civilisation comparées, spécialement dans le domaine de la mythologie nordique, des Vikings et des sagas islandaises en lien avec les autres mythologies indo-européennes (je suis membre du centre de recherche HALMA = Histoire, Archéologie et Littératures des Mondes Anciens). » ( bio Babelio )

M_C3_B6_C3_B0ruvallab_C3_B3k_f13r_mAlors pour finir, bon moment de lecture, même si certaines personnes seront déçues, forcément ça ne plaira pas à tout le monde, mais… ça existe, un livre qui plaît à tout le monde ?

Sur les traces d’un traducteur, Patrick Guelpa, et de son travail avec « Betty » d’Indridason

Ces deux derniers jours, j’ai échangé par mail avec ce traducteur dont j’ai admiré le travail sur ce livre assez particulier dans sa construction. Il a très gentiment accepté de m’écrire quelques mots à propos de cette traduction. Hélas, mille fois hélas, j’ai dû couper le chapitre le plus intéressant, celui où il parle du casse-tête qu’a été le passage de l’islandais au français, périlleux pour ne rien trahir de l’intrigue. Et comme certains d’entre vous ne l’ont pas encore lu …

Alors voici les mots de Mr Guelpa, tels quels:

« J’en reviens à notre sujet :

Comment en suis-je venu à traduire Bettý ? Tout d’abord, en novembre ou décembre 2005, l’Ambassadeur d’Islande à Paris, M. Tómas Ingi OLRICH (fin lettré et excellent connaisseur de la France. Il a étudié à Grenoble), m’avait prêté ce livre. Je l’avais lu ensuite, et l’avais reposé. Puis, l’ayant rendu, j’ai acheté un exemplaire en le faisant venir d’Islande. J’ai eu beaucoup de plaisir à le relire et l’idée m’est venue de le traduire. Pour cela, j’ai écrit à Arnaldur Indriðason par l’intermédiaire de son éditeur ( Je n’ai jamais rencontré Arnaldur. Vous voyez : vous avez une bonne longueur d’avance sur moi ! J’aurais eu l’occasion à Francfort pour la foire du livre en 2011, mais j’ai eu des scrupules à abandonner mes cours à l’université. Idem pour les Boréales de Caen où il a été récompensé pour Bettý… Je l’ai raté aussi à Lyon ! Décidément, il faudra que je retourne en Islande pour le voir… Je suis un peu idiot, sans doute, mais je ne voulais pas délaisser mes étudiants et mes cours). Il m’a répondu qu’il était ravi et que je n’avais qu’à demander à l’éditeur français, Madame Anne-Marie Métailié. Ce que j’ai fait ; mais avant, comme je savais qu’Éric BOURY (professeur d’anglais, qui a vingt ans de moins que moi et dont j’admire l’immense talent de traducteur. Il a passé deux ans en Islande et parle parfaitement l’islandais. Ses traductions sont impeccables et élégantes. J’étudie cette langue depuis plus de quarante ans et je crois que dans 400 ans, mon islandais sera à peu près acceptable, comme le gazon du Breton dans « Astérix chez les Bretons »), Eric BOURY,  donc,  était le traducteur attitré des romans où intervient Erlendur, je ne voulais surtout pas « marcher sur ses plates-bandes », comme on dit. Très gentiment, il m’a donné le feu vert en me recommandant auprès d’Anne-Marie. Laquelle lui a déclaré, après que je lui ai envoyé un résumé et quelques pages de ma traduction : « Pour ton petit (!) protégé, c’est bon ! ». Par internet d’abord et au téléphone ensuite, Éric et moi sommes devenus amis et nous aimons échanger nos impressions sur pas mal de choses (sur les traductions, sur les romans, les auteurs, mais aussi sur d’autres sujets : la famille, les enfants, l’enseignement, les langues scandinaves, l’allemand, l’anglais, etc…). C’est quelqu’un de charmant et que j’estime beaucoup. Je suis très heureux de l’avoir pour ami.

Éric a tout de suite été d’accord pour que nous nous partagions le travail : lui s’occupe des romans avec Erlendur, et moi des autres. Et ça me convient parfaitement… Normalement, si tout va bien, Madame Métailié m’a dit que ma traduction du « Livre du Roi » (un roman où l’amitié entre un jeune étudiant en philologie nordique et un vieux professeur spécialiste des manuscrits médiévaux leur fait entreprendre nombre d’aventures au Danemark, en Norvège, Allemagne de l’Est et aux Pays-Bas à la recherche du précieux Codex Regius des poèmes de l’Edda dans les années soixante du siècle dernier, affrontant de redoutables néo-nazis qui cherchent à s’emparer de ce trésor islandais.) paraîtrait en septembre (je l’ai rendue il y a un an, mais je comprends tout à fait que les romans avec Erlendur aient priorité. Les lecteurs attendent, c’est normal).

Attendons… age-16841_640

Les éditions du SEUIL m’ont proposé l’an dernier de traduire Flateyjargáta (« L’énigme de Flatey », parue le 7 février 2013. Très bon livre ! Une intrigue policière doublée d’une énigme médiévale concernant les anciennes sagas. L’auteur, Viktor Arnar Ingólfsson a été agréablement surpris de ce que je connaisse assez bien l’île de Flatey… par internet ! où il a passé ses premières années chez ses grands –  parents, à qui il dédie son livre. Très sympathique ! Le français est la 9e langue dans laquelle est traduit son roman. Je désire en traduire d’autres, ainsi que je l’ai signifié à la responsable du SEUIL).

Voici la « note » que j’avais envoyée à Madame Métailié au sujet du livre :

 

« Note sur le roman Bettý, d’Arnaldur Indriðason

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 Betty est un roman policier du « maître du polar islandais », Arnaldur Indriðason

(francisé en Indridason. 6 romans sont déjà parus aux éditions Métailié dans la magistrale traduction française d’Éric BOURY. Ils ont pour héros l’inspecteur Erlendur Sveinsson ) paru en 2004 à Reykjavík aux éditions Vaka-Helgafell. C’est l’un des préférés de l’auteur et il doit beaucoup au style de James Mac Cain (The Postman always rings twice, roman de 1934 = « Le facteur sonne toujours deux fois », film de 1981), auteur de romans noirs américains qui mettent au centre une « femme fatale ». Dans ce roman noir islandais, le personnage habituel de l’inspecteur Erlendur n’apparaît pas (on n’y fait qu’une très brève allusion).

 Je suis toujours très ému par les personnages d’Arnaldur quand ils souffrent : Erlendur, avec sa vie en morceaux et sa tendresse pour sa fille « paumée », qui sait malgré tout revenir un peu vers son père, mais aussi par les autres personnages qui endurent tourments physiques et tortures morales.

 Le livre est écrit à la première personne, le sujet parlant est un juriste qui se retrouve en prison sans savoir pourquoi et qui est amoureux d’une femme aussi belle que mystérieuse. Le lecteur souffre pour le narrateur,  se sent en empathie avec lui,  qui cherche à découvrir la vérité. L’affreuse machination dont il est victime se dévoile finalement et le drame navrant de ce personnage, au-delà de l’émotion poignante qu’on peut ressentir, laisse en nous un arrière-goût d’amertume mêlé d’une grande tendresse pour celui dont le cœur, envers et contre tout, ne veut et ne sait parler qu’une langue : celle de l’amour. »

Merci pour ces explications éclairantes sur votre travail.