« Ce qui désirait arriver » – Leonardo Padura – Métailié, traduit par Elena Zayas

ce-qui-désirait-arriver-HDEmmené en vacances en Ardèche, j’ai lu ce recueil de nouvelles à un rythme assez lent. Mais finalement, c’était assez approprié pour s’imprégner de la langueur cubaine, et de la voix de l’auteur. C’est toujours avec bonheur que je lis Padura que j’ai découvert ici dans l’art difficile de la nouvelle. Même si je trouve qu’il a tout de même plus de puissance dans le long cours, il s’en sort plutôt bien, surtout dans certaines histoires dans lesquelles j’ai retrouvé la langue doucement ironique et mélancolique de cet écrivain hors normes, son Cuba de derrière les façades ensoleillées, reflété dans le rhum Carta Blanca et ses effets secondaires.

« Au commencement était la fascination. »

 Retour sur la très fantasmée Violeta Del Río  – « Neuf nuits avec Violeta Del Río » – rencontrée dans « Les brumes du passé » ( sans doute un de mes préférés dans la série des aventures de Mario Condé ), et le sucré bolero qui dans sa bouche, avec sa voix, devient un enchantement sensuel, érotique.

Certaines de ces histoires contiennent toute l’humanité de Padura, et j’ai adoré plus particulièrement « Adelaida et le poète »

« Du coin, le jeune poète la vit s’éloigner avec sa robe mauve des jours de fête et  son dossier contre sa poitrine et il crut découvrir la silhouette d’une jeune fille, d’environ dix-huit ans, qui traversait la rue pour aller à la rencontre de la vieille dame. » Elle mérite un poème, se dit Reinaldo. » »

 « La mort heureuse d’Alborada Almanza » dans laquelle une vieille dame à l’approche de la mort voit un ange la visiter, un beau mûlatre bien bâti qui exauce ses trois souhaits avant de quitter cette terre,

« Sous sa main, elle sentit alors la douceur de l’épaisse fourrure du chien qu’elle avait eu quand elle était petite et, au-delà du salon aux dalles de marbre disposées en échiquier, elle put voir la plénitude bleue de la mer tandis que résonnaient les premiers accords d’Almendra, son danzón préféré. »

 « Le mur  » , belle rencontre entre un homme mûr et un gamin qui joue au base-ball seul contre un mur, et « La mort pendulaire de Raimundo Manzanero », suicide conté et commenté par plusieurs voix…

« Comment va-t-on faire pour continuer? Nous ne sommes guère qu’un récipient plein de vie, mais cette vie s’est desséchée parce que nous ne savons plus pour quoi prendre des risques: on se résigne et c’est ainsi qu’on survit. J’ai toujours pensé que survivre était le propre des animaux: manger, dormir, procréer. Vivre ce n’est pas ça, c’est quelque chose de plus créatif, de vivant, justement. Mais il n’y a ni vitalité ni créativité dans ce que nous faisons et dans ce que nous sommes. […]. Et moi, finalement qu’est-ce que je veux, moi ? Je pense que je veux tout juste être moi-même et que je n’ose pas. J’ai passé toutes ces années à me trahir pour obtenir ce que j’ai, mais ce n’est pas ce que je devrais ni voulais avoir. Je crois qu’un jour… » ( Le manuscrit s’interrompt sur ces mots.) »

cuba-191994_1280Il y a les histoires de sexe, de retour de guerre, de beuveries désespérées, la noyade dans le rhum et la fatalité. L’ensemble est au final sombre, sans doute plus sombre que ce que j’ai lu dans les romans, et glauque parfois. Réaliste ? Sans doute, si on arrive à faire abstraction des belles images que l’on nous a données de Cuba, les charmantes vieilles bagnoles américaines, les superbes métisses, la musique si entraînante, les cigares et le bon rhum…Voici ici, plus que jamais je crois dans l’œuvre de Padura, l’envers du décor. Plus triste, plus violent, mais il ne renonce pas, vaille que vaille à son humour doux amer et à la poésie.

Ces nouvelles ont été écrites entre 1985 et 2009 et ne sont pas présentées par ordre chronologique. Pour conclure, une lecture qui peut mettre mal à l’aise par sa crudité parfois, mais qui enchante totalement – et intelligemment – par sa sincérité et son humanité. Je ne sais pas vous, mais je trouve la photo de couverture de ce livre extrêmement belle et bien choisie. Encore une fois, très beau choix éditorial pour Métailié.

17 réflexions au sujet de « « Ce qui désirait arriver » – Leonardo Padura – Métailié, traduit par Elena Zayas »

    • Mon roman préféré est, dans la série avec Mario Condé ( flic bibliophile, puis plus flic, mais toujours bibliophile, et surtout, chantre de l’amitié ) c’est « Les brumes du passé ». Ensuite, il y a « Hérétiques », monumental ! Ces nouvelles sont peut-être bien ce qui te donnera une idée de son talent, un beau recueil, mais je préfère ses romans quand même, parce que justement ça dure plus longtemps, le plaisir de ce Cuba interlope

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  1. Ahh, depuis ma lecture de « Parle-moi un peu de Cuba » de Jesus Diaz (déjà dans Métailié et très bien traduit par Jean-Marie Saint-Lu (lu en 2003) toute illusion créée par les « belles images » s’est estompée…Merci pour ton texte qui rend curieux….

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      • Toutàfé – je le vois bien dans les discussions autour des 10 livres du Livre Inter. Je pensais que tel livre plairait à X et plouf…. pas du tout…. Par ailleurs je suis le seul (!!) qui trouve des « excuses » à « Eva » de S. Liberati… Par contre je lis actuellement « Confiteor » (IMMENSE!)

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  2. La couverture et le titre sont bien choisis. Et l’intérieur est aussi beau que l’extérieur. Après Les brules du pasé et Hérétiques, j’ai été ravie de retrouver cet auteur

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  3. Et merci pour cette vidéo ! Pourquoi fallait-il que les peuples qui ont le plus souffert aient toujours produit les plus beaux chants ? Ceux qui se chantent avec le cœur et en communion …

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    • parce que la beauté aide et soutient, j’imagine, comme nos livres aimés nous accompagnent et nous aident, ou tes plus belles photos, ou une toile, une sculpture, une oeuvre d’artiste …Comme aussi la beauté de la nature nous aide…Chanter. J’ai eu un médecin homéopathe absolument génial qui m’avait dit que je devais chanter pour me laver la tête de tout son noir. Je crois que j’aurais du l’écouter, tiens…

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