Cinq photos, cinq histoires ( 3 )

EPSON MFP image

Paros – 1976

La Grèce…Autant vous dire que ce qui s’y passe, ce qu’on lui inflige et ce qu’on en dit me touche. Imaginez une adolescente timide, renfermée, peureuse même. Quinze ans qui approchent et jamais quitté son petit environnement familier, si ce n’est un voyage scolaire d’une journée à Marseille, quelques jours chez des cousins âgés avec mes parents et ma petite sœur dans les Yvelines ( pas très exotique ni aventureux, mais j’ai quand même visité Versailles à cette occasion, c’est déjà ça!)

Brevet en poche, je dois choisir le cadeau : un solex ( mon frère en a déjà un ) ou l’été en Grèce avec ma sœur aînée qui n’a que 23 ans, mais voyage déjà partout en auto-stop (Italie, Yougoslavie, USA, etc…)..Je sais, vous allez vous dire ce que je réalise maintenant que j’ai des enfants : mes parents étaient absolument inconscients…Eh bien là,  j’en fus bien heureuse de cette…inconscience ( moi je dis indifférence, quand la colère monte, mais c’est un autre sujet).

Armées de nos seuls pouces, nous avons traversé en deux jours et une nuit tout le nord de l’Italie, toute la Yougoslavie – j’ai une vision du trajet Zagreb – Belgrade un peu sidérante – pour arriver à Thessalonique. Comme si j’avais fait ça toute ma vie ! Notre voyage a duré deux mois; en France, 1976, année de grande sécheresse .

Pendant ce temps, la gamine visita Delphes, Epidaure, Corinthe, Mycènes, Olympie, Athènes et les parcs au pied du Parthénon où se cachait un satyre derrière chaque buisson ( si, je vous jure ! ) . La gosse se baigna dans des eaux limpides pour la première fois de sa vie ; elle vit des éponges ondulant au fond de l’eau, elle prit le bateau pour la Crète où elle admira des hommes costumés, le poignard dans la botte, dansant sur un goulot de bouteille; elle écouta les bouzoukis dans un minuscule café près du village natal du Gréco, en mangeant les dolmas offertes, sous la tonnelle. Sous ses yeux , les champs d’oliviers argentés dormaient sous le soleil et le ciel azur. Tout ce chemin improvisé au gré de vieux camions brinquebalants aux conducteurs débraillés et joviaux, à l’arrière de triporteurs en compagnie des pastèques, à pied sur les îles, dans des cars emplis d’icônes dorées et de komboloïs cliquetants, et dans tout ce qui roule. Pas à dos d’âne, dommage . Elle regarda les pêcheurs battre les poulpes sur les rochers et de vieilles femmes toutes de noir vêtues, triant des olives tout aussi noires, dans une pièce sombre; elle respira l’odeur du jasmin, celle des souvlakis qui grillaient au bord des routes, et l’anis de l’ouzo. Elle goûta au retsina si parfumé et sentit la première ivresse.

Son gros sac sur le dos, elle fut fascinée par un jeune moine agenouillé en prière, le teint blafard et totalement abstrait du monde, aux Météores. Elle fut touchée par la gentillesse d’une femme qui donna des poires de son jardin et de l’eau fraîche de son puits, tandis que sa fille dans la petite maison blanche, avec un coffre pour tout mobilier, tissait un tapis de lirette. Vue sur la mer, tout autour de l’île et de la petite maison tapie sous les pins et les oliviers, toujours.

Et Mykonos, Paros ( la photo, c’est à Paros ), Skiathos , Corfou…Quelques belles nuits à dormir sur les terrasses des maisons pas encore terminées, avec une bougie et un petit matelas prêtés par le propriétaire, le ciel étoilé pour couverture, la douce chanson de la mer qui danse sur la plage.

J’avais quinze ans, et pensais aux semelles de vent de Rimbaud…J’ai emmagasiné des milliers de photos au fond de ma tête, de « vraies » sur papier,  je n’ai retrouvé que ces deux – ci ( tu me pardonnes, Evelyne, de tricher encore un peu ?). J’aurais bien aimé en avoir plus. En les regardant, je me dis : c’est bien moi, et j’y suis allée. Il y a à présent 39 ans de cela…

J’ai fait ce voyage de deux mois avec l’équivalent de 150 €, je n’ai jamais eu faim ou soif; les Grecs sont des gens accueillants, bienveillants et étaient extrêmement francophiles à cette époque où la dictature des Colonels venait de prendre fin; quand nous nous disions françaises, ils nous serraient la main furieusement avec un sourire immense.

Je ne dirai jamais assez à ma grande sœur ce que représente ce pays, ce voyage, tout ce que j’y ai découvert, goûté, moi qui n’avait jamais rien vu que mon petit coin de campagne ( auquel je garde pourtant autant d’affection), tout ce que je lui dois, à elle qui m’a pensée assez grande pour cette aventure . Quand je suis rentrée  toute bronzée, toute vaillante, contente d’avoir fait connaissance avec moi-même et avec des gens d’un peu partout, et avec ce si beau pays, j’avais grandi. Je ne raconte bien sûr pas ici toutes les péripéties de ce voyage, car vous vous en doutez il y en eut quelques unes, mais ce pays je crois m’a mise au monde une seconde fois. Je rêve d’y retourner, je le ferai j’espère.

La Grèce pourrait bien être mon deuxième pays natal.

frieze-370375_1280

12 réflexions au sujet de « Cinq photos, cinq histoires ( 3 ) »

  1. Et bien, je suis super contente de t’avoir invitée à participer au challenge. Cela aurait été dommage de ne pas lire cette histoire et de partager le temps d’un billet de blog les émotions de tes quinze ans. De tels voyages ne peuvent que laisser une trace indélébile sur nos mémoires. Ta soeur et toi devez souvent vous souvenir de ces semaines passées ensemble dans ce pays si beau qu’est la Grèce. J’ai aussi fait pas mal d’auto stop dans ma jeunesse et je suis rétrospectivement horrifiée de penser à ce que nos parents nous laissaient faire. Toute une époque!
    Ton billet est très beau et je ne peux qu’imaginer ton retour chez toi après ces semaines de liberté.

    J’aime

    • Merci Evelyne ! C’est vrai que c’était une époque où le monde était ouvert et où la méfiance et l’individualisme n’étaient pas devenus ce qu’ils sont aujourd’hui : envahissants et effrayants. ceci dit, tu es d’accord avec moi que parfois ça frisait l’inconscience, mais c’était joyeux pour nous, la jeunesse. Si tu savais tout ce qui m’est revenu en mémoire en écrivant ça…Vraiment, un challenge intéressant

      Aimé par 1 personne

  2. …On devrait plutôt être horrifié de la peur qui nous habite désormais , à propos du stop et du vagabondage sur les routes d’ Europe ou d’ailleurs… Et je réalise avec ce billet que nous sommes exactement de la même génération 😉 ( quoique mon adolescence ne fut pas spécialement aventureuse. je me rappelle très bien cette sécheresse de l’été 76!)

    J’aime

    • Tu as parfaitement raison, la peur qui nous habite aujourd’hui est horrifiante. Mais comme je le dis en filigrane, un tel voyage pour deux filles n’était pas sans risques non plus. De l’inconvénient d’être née femme ! Celui d’être né homme était de parfois demeurer en bord de route des heures, voire des jours ! Tu sais, ce fut à peu près le seul voyage aventureux de ma vie, c’est sans doute pour ça qu’il m’a tant marquée. mais pour ce qui est des parents, tout de même…un peu limite, à 15 ans… ! J’ai été contente – que dis-je, contente ! – folle de joie de ce « oui », c’est après coup ( au retour que j’ai réalisé tous les dangers auxquels nous avons échappé : j’étais mineure, et quelle responsabilité pour ma soeur de 23 ans seulement !

      J’aime

  3. Je ne suis allée en Grèce que de manière très « sécurisée »… avec homme et voiture, puis avec enfants,(mes parents ne m’ont laissé partir seule qu’en Sicile où j’avais un point de chute et j’avais -déjà- 18 ans, mais n’étais pas majeure à l’époque), mais c’est un pays que j’adore et où j’ai toujours envie de revenir. Ton texte réveille ce désir.

    J’aime

  4. L’inconscience (l’indifférence parfois, en effet !) de nos parents nous ont offert ces folies que notre prudence et nos angoisses n’ont pas permis à nos enfants …. On dit que « les temps ont changé », mais les hommes, eux, ont-ils tant changé que ça ?
    Beau voyage, en tous cas, d’une grande richesse.
    Pour la petite histoire : pour moi, ce fût le train pour Calais, le Sealink, l’arrivée à Douvres, le train pour Padington, le métro pour Victoria, le train pour Cardiff, le tchou-tchou poussif pour Bridgent au cœur du Pays de Galle. L’arrivée de nuit, épuisée, avec juste une adresse sur un papier, et un type qui me propose de monter dans sa voiture pour m’amener. J’avais 14 ans. Pas eu un seul souci, dis donc !!!!!

    J’aime

commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.