« Une terre d’ombre » de Ron Rash – Seuil , traduit par Isabelle Reinharez

ron rash Depuis qu’il est sorti en librairie, tout ou presque a été dit ou écrit sur ce nouvel opus de Ron Rash : un magnifique roman, un auteur au mieux de sa plume. Tout ce qui fait de lui un grand écrivain est là, présent : finesse de trait dans le dessin des personnages, profondeur des nuances dans la peinture des paysages et de l’âme humaine, sensibilité pudique, intelligence des propos…et toujours une poésie délicate.

J’ai aimé plus que tout autre le personnage de Laurel, la prétendue sorcière parce qu’elle est marquée d’une tache violette à l’épaule, et pour cela mise à l’écart.

« Mais mourir, même si c’était dès aujourd’hui, ce n’était pas le pire. Être seule dans le vallon, comme l’hiver précédent, voilà ce qui serait le pire. Morte et encore de ce monde, c’était pire que morte et sous terre. Morte et sous terre vous donnait au moins l’espérance du paradis. »

L’histoire se déroule à l’approche de le fin de la Grande Guerre. Hank, le frère de Laurel, est rentré il y a peu, un bras en moins, et l’arrivée dans sa ferme d’un homme muet, mais qui joue à merveille de sa flûte en argent et n’a pas peur du travail, va lui être une aide inespérée. C’est Laurel qui l’a trouvé et secouru dans les bois où il gisait en piteux état.

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Pour moi, ce livre est avant tout une histoire d’amour entre deux êtres rejetés; sur fond de réflexion sur le goût de la guerre qui gangrène le monde, et sur la stupidité des hommes face à la différence, l’auteur décrit avec mesure ce temps qui va rapprocher forcément Laurel et Walter.  J’ai aussi beaucoup aimé les gestes quotidiens de Laurel , l’obscurité du vallon, et les perroquets que voit Laurel un beau jour, espèce prétendue disparue et de toute beauté, que son père achèvera à coups de fusil…Les oiseaux pleins de couleurs sont ici métaphoriques car :

 » Une terre d’ombre et rien d’autre, lui avait dit sa mère, qui soutenait qu’il n’y avait pas d’endroit plus lugubre dans toute la chaîne des Blue Ridge. Un lieu maudit, aussi, pensait la plupart des habitants du comté, maudit bien avant que le père de Laurel n’achète ces terres. Les Cherokee avaient évité ce vallon, et dans la première famille blanche à s’y être installée tout le monde était mort de la varicelle. »

Il est donc dans l’ordre du lieu que ces oiseaux colorés y meurent.

tiger-217136_640« Et puis un jour, en plein midi, les quelques minutes où juste assez de lumière filtrait, permettant aux perroquets d’apercevoir le verger et ses fruits volés, la volée vira et revint, assez bas pour que Laurel entende pousser des « oui oui oui » tandis qu’ils se regroupaient au-dessus du verger et commençaient à descendre en tourbillonnant. Un par un les oiseaux habillèrent les branches de vert, d’orange et de jaune. […] On aurait dit que leurs corps s’étaient soudés et avaient emporté tout le vallon vers le ciel, en plein soleil.[…]Le fusil tremblotait entre les bras maigres de son père. Quand le coup était parti, la volée s’était épanouie dans les airs.[…] Quand Laurel s’était ruée dans le verger et avait supplié son père de ne plus tirer, sa mère l’avait attrapée par le bras en disant qu’il le fallait bien. »

Inexorablement, dans un suspense désespérant, on pressent la fin tragique, on voudrait bien l’empêcher, mais les dés sont jetés sur le sombre vallon. Comme dans « Serena » –  livre que j’ai vraiment trouvé extraordinaire – Ron Rash nous amène à ses fins avec une rare habileté, nous tient en haleine parce qu’on voudrait y croire, à ce bel amour, à des jours meilleurs pour Laurel…Quel talent, vraiment !

Alors si ce n’est déjà fait, lisez ce très beau livre, mais aussi les autres. Ron Rash est vraiment un des meilleurs de sa génération ( à mon avis ! ) , par son écriture, par les thèmes qu’il aborde et dont il parle tellement bien, un auteur intelligent et subtil que j’aime et qui une fois de plus non seulement ne m’a pas déçue, mais m’a enthousiasmée.

 

17 réflexions au sujet de « « Une terre d’ombre » de Ron Rash – Seuil , traduit par Isabelle Reinharez »

  1. Ah mais je te l’avais dit !!!! C’est un livre magnifique !
    Tu sais ce que j’ai fait aujourd’hui?

    Tu es assise?

    JE SUIS ALLEE BOIRE UN COUP AVEC CRAIG ! SI SI SI SI !!
    Je n’en reviens pas moi-même ! Il est adorable, fantastique, intéressé, chaleureux!
    J’ai été un peu intimidée au début (style super fangirl qui rencontre son auteur préféré) mais après ça allait mieux, et quel moment ! Incroyable, j’ai des étoiles dans les yeux depuis ce midi. Petit comité en plus, il n’y avait que lui, sa femme (absolument charmante et très drôle), l’attachée de Gallmeister et moi. Le rêve, vraiment!
    Il y a des avantages certains à être libraire !

    A bientôt !
    Mary

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    • Ah la vache !!! Je sais qu’il est super ce type et pas que comme écrivain. Je vais le revoir aux Quais samedi, mais il y a 2 ans, on avait vu comme il était disponible , intéressé, et surtout si jovial et chaleureux ! Dans le Palais du Commerce, on entendait son rire, c’était formidable ! Je suis bien contente que tu aies engrangé un si joli moment et t’as raison, il y a des avantages à être libraire ! J’ai mon copain Bruno qui l’est, il a vécu de sacrées rencontres lui aussi…Ah les petits veinards ! Allez ! Des bises !

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      • C’est plutôt vieux, je l’ai terminé parce que, bien sût, je voulais savoir comment l’histoire se termine, donc une certaine fascination. Mais je me souviens avoir détesté les personnages et l’ambiance du roman. De plus j’ai ressenti un certain malaise face à l’écriture qu’il me semble avoir trouvée désuète et alambiquée. Et c’est drôle, car je ne suis que rarement aussi catégorique pour une lecture.

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        • D’accord, c’est possible qu’on le ressente comme ça…Nous sommes tous différents face aux mots et à leur agencement ! J’ai lu tous les livres de Rash, le premier « Un pied au paradis » m’avait emballée déjà et celui qui m’a le moins touchée est « Le monde à l’endroit ». J’aime son écriture. Désuète, je ne sais pas, je la trouve fine et jamais outrée, je trouve qu’il parle de choses importantes, dans des temps et des lieux différents qui en montrent la constance. Enfin, on ne peut pas être d’accord tout le temps, on s’ennuierait !

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          • Ah ben oui, c’est le premier et ce livre à plusieurs voix était déjà signe d’un bel écrivain. Parfois on est touché, d’autres fois non, c’est comme ça; ça peut venir du sujet, de notre humeur du moment. Tu sais, c’est ce qui me plait, là, le fait qu’on n’a pas tous le même avis! Demain, je vais aux Quais du Polar, je suis excitée comme une puce !

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  2. Très beau billet sur un auteur que j’ai envie de découvrir depuis un petit moment déjà… J’ai bien sûr repéré déjà celui là… Et en passant je découvre ton blog (chez Theoma) dont je note le lien évidemment ;0)

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  3. Je viens de finir ce roman qui m’est tombé entre les mains complètement par hasard. J’ai adoré !
    La tension est d’autant plus forte qu’on sait dès le début que la fin sera tragique. Ce ne sont que les toutes dernières lignes qui donnent les clés, brutalement, sauvagement, alors que le rythme du livre était jusqu’à son issue teinté de l’ombre enveloppante de ce vallon sinistre, cette ombre inéluctable qui semblait vouloir éternellement étirer le temps …

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    • Ah ! comme ça me fait plaisir ! Ron Rash est pour moi un des meilleurs écrivains de cette décennie, j’ai lu tous ses livres, j’avais été super impressionnée par le premier ( Un pied au paradis ) et ensuite je n’ai jamais été déçue. Son dernier roman, Par le vent pleuré montre son talent en 200 pages, c’est simplement la perfection, extraordinaire. Si tu cherches sur mon blog,à part Un pied au paradis ( le blog n’existait pas encore ) , tous sont chroniqués. Mon préféré, Serena

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